“ROI D’ANGLETERRE ET DE FRANCE” : UNE PRÉTENTION ANGLAISE DURANT PLUS DE QUATRE SIÈCLES - PARTIE 1
De 1340 à 1802, les monarques d’Angleterre se font appeler “rois (ou reines) d’Angleterre et de France”. Une prétention à la couronne de France contestée par la France au motif que l’Angleterre tient se droit… d’une femme.
Armes d’Edouard III, premier roi d’Angleterre et de France
La prétention anglaise à la couronne de France est loin d’être symbolique ou anecdotique. Elle entraîne les deux pays dans une guerre de 116 ans, communément appelée la guerre de Cent Ans, et entretient des tensions continues entre les deux puissances européennes jusqu’à la bataille de Waterloo - et la chute de Napoléon Ier - en 1815.
Pour éviter que les monarques d’Angleterre ne coiffent la couronne de France, les Français ont dû exclure les femmes de la succession au trône de France.
De l’élection à l’hérédité : LE “MIRACLE CAPÉTIEN”
Rappelons que, dans la tradition franque, les rois de France étaient initialement élus par les grands du royaume. Hugues Capet, élu roi en 987, entend bien asseoir sa dynastie et fait élire et sacrer son fils Robert II la même année. Robert II fera de même avec son fils, et ainsi de suite jusqu’au roi Philippe Auguste (1165-1223) qui rompt avec cette pratique : sans recourir à l’élection de son fils aîné de son vivant, celui-ci devient roi naturellement à la mort de son père. Le principe n’est plus l’élection, c’est l’hérédité.
Cependant, personne ne s’est posé la question de la place de la femme dans la succession à la couronne. D’abord, jamais une femme n’avait été élue “reine de France” et, ensuite, d’Hugues Capet à la mot de Louis X en 1316 : tous les rois de France ont eu comme un aîné un garçon. Il s’agit du “miracle capétien”.
Les rois maudits
Le miracle prend fin avec la descendance de Philippe IV le Bel, dernier roi “miraculé”, qui laisse quatre enfants :
Louis X
Philippe V
Isabelle
Charles IV
À la mort de Philippe IV le Bel, en 1314, son fils aîné Louis X devient roi. Il meurt deux ans plus tard et, c’est un drame, son enfant aîné est une fille, Jeanne. Il existe toutefois un espoir : la reine est enceinte. On attend donc l’accouchement. Ce sera un garçon, Jean, né en novembre 1316. Un bébé-roi, mais qui ne survit que cinq jours…
Pour la première fois depuis des siècles, l’héritier direct de la couronne est alors une femme, Jeanne. Mais son oncle, Philippe, deuxième fils de Philippe IV le Bel, convoite la couronne.
Philippe prend les devants et, moins de deux mois après la mort du petit Jean, se fait sacrer roi le 9 janvier 1317.
Pour légitimer son « putsch », il réunit les États généraux. Jeanne est mineure, sans appui, et surtout c’est une femme : si un prince étranger venait à l’épouser, il mettrait la main sur la France. La réponse des États généraux est alors ferme : une femme ne peut monter sur le trône de France. Elle conserve néanmoins la couronne du Royaume de Navarre, qu’elle tient par sa grand-mère.
Philippe V est donc roi de France et règne cinq ans. Il meurt en laissant seulement des filles. En vertu du principe qu’il avait lui-même imposé, celles-ci ne peuvent régner. Le troisième enfant de Philippe IV le Bel, Isabelle, est également écartée du trône pour la même raison. C’est donc le cadet, Charles IV, qui devient roi. Mais Charles meurt à son tour, en 1328, sans héritier mâle.
Le drame est total : les trois fils de Philippe IV le Bel sont morts sans héritier mâle. Le miracle est remplacé par une malédiction.
La querelle successorale
Face à la vacance du trône de France, deux candidats se présentent :
Philippe VI de Valois, neveu de Philippe IV le Bel et cousin des trois derniers rois, est le plus proche par les mâles. Régent du royaume, il est en bonne position.
Philippe d’Évreux, également neveu de Philippe le Bel, qui a eu la bonne idée d’épouser Jeanne, la fille de Louis X. En outre, par ce mariage, il est roi de Navarre.
Alors que les débats vont bon train, un troisième candidat s’avance : Édouard, fils d’Isabelle.
Isabelle n’est pas n’importe qui : elle est la fille de Philippe IV le Bel et la sœur des trois derniers rois. Surtout, elle est, par mariage, reine d’Angleterre.
La légitimité dynastique de son fils Édouard au trône de France est en apparence incontestable : petit-fils de Philippe IV le Bel, neveu des trois derniers rois de France, il est mieux placé que les deux autres candidats. Seulement, il tient ses droits sur la couronne de France par une femme. Or, onze ans plus tôt, les États généraux ont fixé une règle : nulle femme ne peut monter sur le trône de France.
Se pose alors une question : une femme peut-elle transmettre la couronne à son fils, alors qu’elle-même ne peut en hériter ? Édouard a-t-il un droit sur la couronne de France grâce à sa mère, alors qu’elle en est exclue ?
Les États généraux tranchent. Le prestige d’Édouard devient sa perte : il est roi d’Angleterre, et il est hors de question que la couronne de France soit posée sur la tête d’un souverain étranger.
La couronne est finalement attribuée à Philippe VI de Valois, que l’on surnommera alors “le roi trouvé”.
La guerre s’ouvre
Pour Édouard III d’Angleterre, la couronne de France lui a été volée. En 1337, il déclare la guerre à Philippe VI de Valois par l’intermédiaire d’un archevêque venu à Paris jeter le gant à celui « qui se dit roi de France ». En 1340, il se proclame « roi d’Angleterre et de France » et ajoute au blason anglais, le lion, les fleurs de lys de France. Ces fleurs de lys resteront sur le blason anglais jusqu’en 1801.
Édouard III envahit la France et connaît un franc succès, au point qu’un traité est signé : la France se trouve amputée d’une large partie de son territoire.
Conséquences du Traité de Brétigny (1360)
En évinçant les femmes, puis leurs descendants, de la couronne de France, les Français ont évité que le royaume ne tombe entre les mains des Anglais. Mais ce choix a aussi nourri une frustration anglaise qui plongea les deux royaumes dans la guerre la plus longue de leur histoire : 116 années d’affrontements, connues sous le nom de guerre de Cent Ans (1337-1453).
Quant à la question de la transmission de la couronne aux femmes, les Anglais n’ont eu d’autre choix que de leur permettre d’hériter de la couronne d’Angleterre. Autrement, les monarques anglais auraient perdu automatiquement leur prétention à la couronne de France, puisque leur droit sur celle-ci provenait d’une femme : Isabelle de France.
Tristan CHOPPIN HAUDRY de JANVRY